La féminisation de la langue

Publié le 22 novembre 2025 à 06:54
féminisation de la langue

Je ne crois pas que ce soit en rendant les femmes plus visibles dans la langue que l’on va faire avancer la cause féministe. Masquer le problème social sous un vernis linguistique me parait être une erreur. La volonté d’imposer systématiquement une forme féminine à chaque mot, titre ou fonction, au risque parfois d’alourdir la langue ou d’en déformer la structure, m’agace, c’est pour moi un « faux » problème.

 

La féminisation des mots ou l’écriture inclusive sont nées d’une volonté légitime d’égalité mais quand la langue devient un champ de bataille identitaire, le message peut se perdre dans la forme. Ce que je trouve être un excès, fragilise le fond. La sur-féminisation peut produire l’effet inverse de l’intention : au lieu d’inclure, elle stigmatise ou fatigue.

 

Elle risque aussi de réduire le féminisme à un rituel lexical, sans effet sur les inégalités réelles. En utilisant le langage comme outil de changement, on pourrait créer une illusion de progrès : comme si modifier les mots suffisait à modifier le monde. Cette focalisation sur les signes pourrait même devenir un écran qui masque les problèmes structurels. Le risque est alors que l’égalité se joue davantage dans les discours que dans les politiques publiques, davantage dans la conformité syntaxique que dans les conditions de travail, l’éducation ou la lutte contre les violences.

 

Aussi, elle peut donner une impression de moralisme linguistique, voire de snobisme militant. Lorsque certaines formes deviennent des codes à adopter pour être considéré comme « éclairé » ou « progressiste », le langage se charge d’une dimension normative qui dépasse l’intention initiale. L’usage de ces formes peut alors fonctionner comme un signe d’appartenance à un groupe, une manière de signaler sa vertu militante, voire une forme de snobisme idéologique. Au lieu de favoriser une réflexion collective, il peut instaurer une hiérarchie symbolique où les locuteurs qui ne maîtrisent pas, ou ne souhaitent pas employer ces tournures se trouvent implicitement jugés. S’il se radicalise, il risque de créer du ressentiment, de l’exaspération, ou même un sentiment d’exclusion chez ceux qui perçoivent ces injonctions comme prescriptives et intimidantes plutôt que comme des outils d’émancipation.

 

Par ailleurs, l’argument selon lequel une langue serait d’autant plus égalitaire qu’elle marque davantage le féminin mérite d’être interrogé. Certaines langues, comme l’anglais, ne possèdent pratiquement pas de distinctions de genre : la plupart des mots sont neutres, les adjectifs invariables, et seuls quelques pronoms reflètent le sexe biologique. Pourtant, l’absence de genre grammatical n’a jamais empêché l’anglais de connaître, comme toutes les autres sociétés, ses avancées en matière de féminisme. Pour moi, cela montre bien que le lien entre grammaire et égalité réelle n’est ni direct ni mécanique.

 

En somme, lorsque la transformation du langage devient une injonction rigide, elle peut se muer en posture morale plus qu’en engagement politique, et nuire à la portée universaliste du message féministe. Croire que l’introduction des marques de genre dans notre langue entraînerait magiquement une société plus égalitaire est illusoire. Le cœur des inégalités se situe ailleurs.

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