Quand on évoque le handicap, l’imaginaire collectif se tourne d’abord vers le handicap physique, domaine où les progrès d’inclusion sont réels. Mais derrière cette avancée se cache un oubli majeur : le handicap psychique, toujours relégué hors du champ de vision, comme si le voir était déjà trop.
Rien que les mots « handicap » et « psychique » suffisent à susciter la gêne, voire la peur. Comme si leur simple association révélait une réalité trop dérangeante, trop éloignée de nos repères. Pourtant, cette crainte en dit davantage sur nos représentations que sur les personnes concernées. La peur qu’inspire le handicap mental parle surtout de nos propres limites. Elle trahit nos préjugés, nos zones d’ignorance, notre difficulté à accepter ce qui sort des normes que nous avons construites. Les personnes concernées, elles, ne sont pas effrayantes : c’est notre vision d’elles qui l’est.
Ce quasi-rejet me met hors de moi, parce que la souffrance vécue par ces personnes est déjà immense. Et au lieu d’alléger cette charge, notre regard la renforce, comme si l’exclusion venait s’ajouter à la difficulté quotidienne. Je ne nie évidemment pas que le handicap physique génère sa propre souffrance, loin de là. Mais dans le handicap mental, j’ai souvent le sentiment d’une double peine : la réalité du handicap d’un côté, et de l’autre le poids écrasant des peurs, des malentendus, des attitudes de mise à distance. C’est cette seconde souffrance, entièrement sociale, que nous pourrions pourtant éviter et que nous persistons trop souvent à infliger.
Le mot « schizophrénie » met la plupart d’entre nous en PLS comme s’il désignait une menace. C’est oublier que, bien soignée et accompagnée, une personne schizophrène peut vivre, travailler, aimer, rire, comme n’importe qui. La peur vient de nos représentations, pas de la réalité des personnes.
Alors oui, parfois les choses se passent mal. Certaines maladies psychiques peuvent entraîner des crises, des moments de perte de contrôle ou de grande détresse. Mais ce que l’on oublie trop souvent, c’est que ces épisodes se retournent bien plus contre la personne elle-même que contre les autres. La violence qu’on imagine tournée vers les autres est, dans la réalité, une souffrance qui implose davantage qu’elle n’explose. D’autant que la majorité des personnes vivant avec une maladie psychique sont suivies et accompagnées.
Les psychiatres font un travail remarquable, fait d’écoute, de patience, d’ajustements quotidiens. Malgré cela, la psychiatrie continue d’être perçue comme le « parent pauvre » de la médecine. Les moyens manquent, les équipes sont épuisées, les dispositifs d’accueil insuffisants. Comment s’étonner ensuite que la souffrance psychique soit si mal comprise ?
J’aimerais tant que le regard de la société évolue sur ce type de handicap. Je ne demande pas à chacun de devenir aidant ou spécialiste, tout le monde n’en a pas la possibilité, et ce n’est pas nécessaire. Mais changer de point de vue, s’informer un minimum, comprendre ce qui se joue…c’est déjà immense. Car l’ignorance, elle, mène presque toujours au rejet, ou à cette distance froide qui blesse autant qu’un mot mal placé.
Et si vous croisez un jour une personne en crise, ne fuyez pas ! Elle a besoin de soins, de professionnels. Il suffit de rester présent, de garder son calme, d’appeler à l’aide. Ne pas ajouter de la peur à la peur. Ne pas détourner le regard. C’est là, dans ces gestes simples, que se joue un début d’humanité et peut-être, un début de changement.
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